Il l'a prise par la main, la Carcasse, la fille un peu crasse.
« Viens j'vais te montrer ma casse. »
Il l'appelle sa casse parce qu'il n'a jamais croisé personne là-bas,
dans ce petit royaume de métal enfoncé et de sièges défoncés.
Il y trouve du matos et il y trouve la paix,
il tabasse les coussins et les carrosseries, avec les poings, les pieds et des barres de fer.
Un défouloir, une aire de jeux qu'aujourd'hui il a envie de partager.
Carcasse elle lui ressemble un peu,
comme une sœur un peu,
comme une jumelle un peu,
il veut essayer, voir comment elle rend sur fond de tôle froissée et de voitures disloquées.

La casse c'est comme un fragment de passé,
l'endroit où c'est lui qui hante autant qu'il est hanté.
La casse c'était leur repaire avant,
dans une autre ville,
une autre vie.
Carcasse ne sait pas qui elle remplace.
Elle ne le remplace pas vraiment de toute façon.
Mais pourquoi elle pourtant ?
Parce qu'il a vu quelque chose,
comme un éclat de lui en elle,
peut-être un leurre,
peut-être pas plus qu'un reflet de lui-même,
mais la carcasse a une carcasse au moins,
quelque chose à toucher,
quelque chose à se mettre sous la dent,
sous la main,
quelque chose de plus vivant que la vitre d'un miroir,
de plus chaud, plus bouillonnant.
Il la regarde, la Carcasse, et se demande quoi lui répondre.
Rouille n'aime pas dire ce qu'il a dans la tête.
Et puis il est conscient du fait que Carcasse n'apprécierait pas de savoir
qu'elle est juste un simulacre.
« Parce que t'es à ta place ici, tu trouves pas ? Entourée de carcasses. »
Allez, sois un peu gentil Rouille.
« Parce que t'es belle. »
C'est vrai quand même.
« C'est mon coin ici, j'voulais te montrer. J'suis un romantique. »
Il fait un sourire carnassier et il saute sur un capot effondré,
grimpe sur le toit de la carrosserie et tend la main à la princesse
qui ne ressemble pas tellement à une princesse.
« Mais faudrait que je te fasse des habits. Ta robe elle est moche. »
Faut pas trop en demander.
Et puis il aimerait bien la façonner un peu plus
à son image.
Aujourd'hui lui non plus n'est pas déguisé en princesse,
c'est le tas de rouille du jour où il est arrivé,
jean déchiré et chemise à carreaux rouge délavé,
les carreaux qui ont été blancs encore tâchés de sang séché,
comme si un enfant s'était amusé à les remplir et s'était lassé
au beau milieu du coloriage.
« Dis, je sais plus, t'as un vrai prénom ? »