Le signal est parti plus tôt aujourd’hui; un gosse en détresse, une gosse en détresse, pourquoi pas être deux? C’est plus facile à deux, toujours. Menma en justicière, les pupilles dilatées, les yeux posés sur l’heure, elle a cet élan-tendresse dans son humanité insolente elle a besoin d’tous les ramasser à la petite cuiller. Il est tôt et tard à la fois parce que sa tête et pleine de pourquoi et comment? Si elle pouvait elle aurait déjà lancé une colombe en l’air pour appeler à la paix au milieu de ses désastres. En attendant elle fait comme elle peut; un oiseau perdu par ci, un oiseau perdu par là. Dans les rues elle voit le Blue qui s’anime à distance en bleu et argent, et puis elle s’avance, la même idée en tête: recouvrir la détresse avec des sourires. Menma, tu t’es jamais dit que ce serait pas assez?

Timothée, l’un des enfants perdus est arrivé, la main moite, les yeux fixés dans les siens et Menma a su, Menma a su que ça n’allait pas, elle a hoché la tête en lui disant bonsoir, les brides de son sac bien attachées à ses paumes alors qu’elle pousse la porte du café. Voilà à quoi devrait ressembler le Bubble Gum Sofa, un peu plus rustique certes, mais tout aussi accueillant. Elle s’aventure, le nez un peu partout à la fois comme elle a l’habitude de faire, parce que Menma est une observatrice, et elle a déjà bien posé les yeux sur Timothée; ça c’est sûr. « Bon, dis moi Tim, qu’est-ce-qu’il y a ? » Elle pose la question de but en blanc alors qu’on les guide vers une table pour deux.

Après l’orage, elle voit la ville endormie, elle s’assied où il lui dit de s’asseoir, les mains sur la table, les yeux au dehors. Y a pas grand monde en semaine, sauf quelques gens occupés, obnubilés par des papiers en masse, des bouts de travail à finir. Et puis y a Timothée, de dos il est assez imposant, mais Menma se dit que c’est comme tous les gens qu’essayent de l’atteindre dernièrement: elle est sans doute devenue toute petite. Menma repense à son message, un peu inquiété, beaucoup remuant entre les phrases, si rapidement qu’il en oubliait quelques points.

Peut-être qu’elle est devenue un refuge avec le temps, à force de construire son château fort entre les catastrophes.

Screenshot de la conversation:

Elle se noie dans la ville, encore, elle voit l’océan calme se lever devant eux, les voitures en vagues qui passent régulièrement, elle les compte. Il faut faire s’effondrer les murs avec un autre, sa mission ne consiste en pas grand chose d’autre que ça. C’est toujours le même défaut sur leurs visages, l’espèce de désespoir bien humain qui se tresse dans les cheveux, aux racines, le même désarroi, comme s’ils étaient contagieux. Menma ne fait plus attention, sinon elle aurait sombré depuis longtemps dans la nicotine, dans ses bras tendres, elle serait pas là à encore les attendre, ses enfants perdus.

Les enfants perdus sont comme Timothée, attachés autre part, les yeux rivés sur quelque chose de plus important et elle ne leur en veut pas, c’est ce qui lui plait, les voir chercher quelque chose d’inatteignable pour l’instant, si elle peut les aider elle le fera.

Il a des yeux d’gosse, les gosses qui courent partout, qui s’arrêtent jamais. Timothée a l’accent des gosses aussi, avec la petite note timbrée, un peu azimut, un peu agitée qu’a pas l’air de se fixer sur un point précis et quand Menma cherche son regard, elle a un peu de mal, mais quand même ils se croisent à la fin, elle s’dit qu’on se fait tous des films. 
Ou il échappe à la réalité, ou il cherche à s’y emmêler, dans les deux cas Menma l’accueille avec un sourire.

« T’avais l’air un peu en panique et d’un coup tu prends ton temps. T’es un peu contradictoire toi, non ? »

Menma est pas bavarde d’habitude, c’pas qu’son rôle de maman l’aie transformée, mais si un peu quand même. Depuis c’est comme si elle essayait de poser des étoiles en plastique sur les plafonds des autres, elle peut pas s’en empêcher c’est plus fort qu’elle. Parfois elle se surprend à s’arrêter pour constater les dégâts, mais Timothée les dissimule alors l’asiatique bronche pas et pose ses mains autour de la tasse.

L’apocalypse, une amie de dernière minute, celle avec qui on saute du toit du monde, parfois elle a des ailes parfois non. Menma l’écoute parler de sa chute à lui, Menma se souvient de son exil, ça remonte à trois ans, déjà. Elle se souvient des nuits plus longues, de l’impression de pas avoir de prise sur quoi que ce soit, parfois elle s’dit qu’il y a un miracle dans l’air de cette ville mais elle sait aussi que les démons de minuits sont pas loin. Menma lui dit de pas la vouvoyez que ça sert à rien qu’elle a à peine vingt-quatre ans, et franchement elle s’demande si c’est possible ici d’être le justicier masqué et adoré.

Mais elle s’doute bien que c’est plus compliqué que ça.
« D’accord. Dis, ça te dérangerait de m’expliquer ce qui s’est passé ? » Elle remarque bien ses regards nerveux vers la boîte à pixels entre ses doigts, et puis elle s’dit qu’elle était là y a encore pas longtemps. « L’immeuble était à mes parents, c’est pas comme si il allait tous nous sauver, mais il a encore de quoi tenir, enfin j’le tiens comme je peux. » En place malgré les décombres imaginaires qui s’accumulent entre César, Kassiopeia, sans oublier Aloïs. On y ajoutera tous nos catastrophes.

Les catastrophes s’accrochent aux mains du garçon, plus il parle plus Menma se tasse dans sa chaise, amène la tasse à ses lèvres nerveuses. Il a toujours été bavard, juste pas de cette façon, pas dans la détresse. Menma hoche la tête, le laisse faire, autour chacun vit son petit chaos-bonheur, l’espèce d’entre-deux dans lequel on se retrouve tous passé un certain point.

« Y a pas de soucis. » Elle lui sourit, doucement, dans la tendresse des gamins paumés et tout juste remis sur pieds. « Donc ils t’ont juste jeté comme ça ? » Menma hausse un sourcil, visiblement agacée, elle se met à taper du pied, tic bien connu du stade post-apocalyptique. C’est sûr que c’est pas la croix autour de son cou qui sauvera qui que ce soit, mais au moins elle a un vieil immeuble et pas de quoi se foutre en l’air (pas encore).